Tenter de poser sur le pont d’une felouque de l’époque un mégalithe de 65 t, et même un bloc de 2 t, pour faire un trajet fluvial sur le Nil aurait été complètement fou.
C’était à coup sûr la solution la plus risquée pour faire voyager ces pierres sur l’eau:
- Flottabilité et stabilité de l’embarcation lourdement chargée sur les hauts?
- Installations de manutention portuaires pour charger et décharger des blocs, alors que le niveau du Nil varie toute l’année?
Pour retrouver les moyens utilisées, il faut revenir aux notions de base de la flottabilité et à un papyrus d’époque, qui nous en dit long sur les méthodes utilisées:
Le professeur Pierre Tallet a fait une communication extraordinaire, basée sur des papyri découverts sur le site de Ouadi el Jarf qui fut un port sur la mer rouge en activité du temps du chantier de la pyramide.
Il a exhumé le journal de bord de « l’inspecteur Merer » qui transportait, semble-t-il de façon routinière, des pierres extraites des carrières de Tourah, vers « l’horizon de Khéops » qui était alors le nom donné à la pyramide.
revue de l’IFAO RAHP 39 -2016« Un aperçu de la région Memphique à la fin du règne de Chéopsselon le ‘Journal de Merer’ (P-Jarff I-III) »
Une embarcation « chargée de pierres », met deux jours pour atteindre « l’horizon de Chéops » , en faisant étape à « l’étang de Chéops » et livrer sans aucun délai des pierres qui ont pris une journée pour être rassemblées.
Le lendemain matin appareillage retour pour les carrières qu’elle atteint en un jour en navigant à contre courant donc au moins une partie du trajet était sur le Nil.
Si l’embarcation navigue à contre courant au retour, elle naviguait donc avec le courant à l’aller.
1) Le journal parle de rassembler les pierres, mais pas de les hisser sur l’embarcation de Merer.
Il est certain que les pierres n’étaient pas sur l’embarcation, car s’il avait fallu un jour entier pour les hisser sur l’embarcation après les avoir rassemblées (elles peuvent peser jusqu’à 8 tonnes), il en aurait fallu tout autant pour les déposer, alors que dans le journal: Sitôt arrivés à l’horizon de Chéops, ils passent la nuit et le matin du lendemain ils appareillent.
Nulle mention d’un temps passé à déposer les pierres.
Ces pierres rassemblées, non hissées sur l’embarcation de Merer,
ne pouvaient qu’être portées par des mini barges
dans lesquelles elles se trouvaient déjà avant que Merer ne les rassemble.
Le temps à l’aller est double du temps de retour, malgré le courant favorable, cela signifie que l’embarcation de Merer était freinée et peu manoeuvrante à l’aller et lège au retour.
C’est donc un convoi flottant lourdement » chargé de pierres » que l’embarcation de l’équipe de Merer traînait derrière elle.
Que ces mini barges aient été individuelles ou contenaient plusieurs pierres importe peu.
Portant une charge très lourde, pour à la fois ne pas chavirer et être économique à réaliser, la ou les pierres étaient noyées sous la ligne de flottaison, comme une quille, gagnant ainsi 1/3 du poids à faire flotter grâce à la poussée d’Archimède.
Personnellement je pense qu’au moins pour les pierres du parement des premières assises, pouvant peser jusqu’à 8 t, une mini barge individuelle eut été bien plus facile à concevoir, construire et charger.
Une fois les pierres livrées à la pyramide, bien que le journal de Merer n’en fasse pas mention dans son trajet retour, les mini barges vides devaient retourner aux carrières pour être réutilisées.
Ainsi conçue, leur tirant d’eau est important de l’ordre de 2 mètres, ce sont donc des objets flottants à la fois lourds et peu profilés, donc lents.
2) Appareillant depuis » l’étang de Chéops » (dont nous ne savons rien par ailleurs), Merer navigue jusqu’à » l’horizon de Chéops » : la pyramide ?
Mais la Pyramide n’est pas au bord du Nil, et ne peut pas être atteinte par un canal.
C’est donc qu’il y avait au pied du plateau, dans la plaine du Nil, un lieu de livraison de « l’horizon de Chéops » qui n’étant pas au bord du Nil devait être relié à l’étang de Chéops par un canal dont le niveau est celui du Nil même à l’étiage.
C’est dans ce canal que l’équipe de Merer y abandonne les pierres dans leurs mini barges, il leur suffit de larguer une amarre, ceci fait de se retirer pour » passer la nuit » et appareiller le lendemain matin.
Le point de livraison recevant les pierres était toujours au niveau du Nil, donc à une hauteur variable par rapport au terrain.
De ce niveau, flottant sur le canal, les pierres devaient être reprises par un dispositif, dont nous ne savons rien, pour gagner la base de la pyramide environ 50 m plus haut.
Ce point de livraison aurait bien pu se situer au pied du » temple de la vallée » de la pyramide de Chéops, altitude 16 m, lequel devait être hors d’eau toute l’année donc légèrement au dessus du niveau de la crue du Nil la plus élevée.
Mais le niveau du Nil changeait continuellement au cours de l’année et tout particulièrement en période de crue.
Or les fouilles du site de Heit el Ghurab, la ville des travailleurs, laissent entrevoir, qu’il y avait aussi une installation portuaire dans sa partie basse (**p 459), qui est à l’altitude du temple de la vallée de Chéops.
Ceci signifie qu’il y avait un bassin de rétention des eaux de la crue, qui baignait le bas du plateau à cette altitude qui était celle de la crue du Nil.
Ce bassin était forcément entouré d’une digue, fermé par une porte étanche au niveau de sa jonction avec le canal du Nil qui amenait le ravitaillement, l’eau et les pierres.
Il y a peu de temps à l’occasion d’un chantier de construction en banlieue du Caire, on*** a découvert une portion de mur qui aurait très bien pu être une portion de cette digue.
Ainsi les pierres livrées par Merer, flottaient sur un canal d’un niveau variable au dessus du quel quelques mètres plus haut, se trouvait un plan d’eau dans lequel le ravitaillement et les pierres devaient passer.
Mais ce plan d’eau était menacé de se vider progressivement à la fois par évaporation et consommation des habitants de la ville, il fallait donc installer depuis le canal vers ce bassin, un système de pompage de l’eau du Nil pour maintenir le niveau du bassin de rétention.
**Labor and the Pyramids
The Heit el-Ghurab “Workers Town” at Giza
Mark Lehner University of Chicago and Ancient Egypt Research associates***Le port funéraire de Khéops par Salah el Naggar, Dossiers d’archéologie #265 p 122-131
Techniques de pompage de l’époque ?
Il faut reconnaître qu’on ne sait rien des techniques de pompages existant à l’époque du chantier,
peut être ressemblaient-elles de près ou de loin à ces deux dispositifs que l’on trouvait au 19 ième siècle avant l’arrivée des pompes mécaniques.
Le chadouf ou la saqiya, l’un et l’autre ne pouvaient élever l’eau que de l’ordre du mètre, pour l’élever de 8 m il fallait procéder par paliers, c’est à dire des bassins intermédiaires.
Il est difficile d’imaginer que les constructeurs dont on connaît la limitation en énergie, n’aient pas saisit cette opportunité, pour élever des pierres flottantes très lourdes, par ce moyen » offert sur un plateau » très facile et peu coûteux en personnel.
A l’étiage, toutes les écluses étaient en service, mais au fur et à mesure de la monté des eaux, les écluses les plus basses étaient noyées, seules les plus hautes restaient en service.
En fonction du niveau du Nil, il fallait remplir plus ou moins d’écluses pour faire monter les pierres vers le bassin de rétention.
L’eau nécessaire pour élever le niveau des écluses était tirée du bassin de rétention provoquant une consommation supplémentaire pour les pompes.
Consommation d’eau pour les pompes
On peut faire une estimation de la consommation d’eau qui a trois origines :
– L’évaporation.
– La consommation de la ville.
– La consommation des écluses.
Évaporation :
Les statistiques tenues sur le Lac Nasser donnent une évaporation moyenne de 5,6 mm / jour, soit 2 m/an, plus au nord en Tunisie une étude sur le bassin de l’oued Mejerda donne une évaporation moyenne de 3,8 mm / jour, en faisant une moyenne entre les deux, soit 4,7 mm / jour, on ne doit pas être très loin de la réalité qui s ‘applique à notre époque.
Le climat était-il très différent il y a 4 500 ans ? Je ne saurais répondre à cette question, cependant une variation de ± 25 % de cette valeur ne changerait rien de fondamental.
Nous ne savons pas non plus qu’elle pouvait être la surface de cette retenue qui reliait le temple de la Vallée à Heit el Ghurab éloignés de 700 m environ, donnons lui 40 m de largeur pour 2,8 hectares.
Donc 4,7 x 28 = 130 M³ / jour.
Consommation de la ville :
Mark Lehner a évalué à 2000 la population ouvrière de cette ville, ce qui conduit à une population totale de l’ordre de 3000 habitants minimum.
Je ne sais, si les habitudes de consommation des citadins de l’Égypte antique nous sont parvenues, De nos jours cette consommation s’échelonne entre les 10 l par jour du paysan Malgache et les 600 l par jour du citadin de New York !
Il me paraît raisonnable de se rapprocher du paysan Malgache et de prendre 50 l/jour pour tenter un chiffrage.
Soit 50 x 3 000 = 150 M³/ jour.
A ce sujet, le « temple du sphinx », avec ses murs cyclopéens hauts de 12 m, si parfaitement ajustés, doublés de granite, aurait pu en son temps faire un excellent « château d’eau » pour les habitants de Heit el Ghurab!
Ecluses :
La consommation des écluses se calcule en multipliant la surface d’une écluse, par la hauteur d’eau d’une écluse, par le nombre d’écluses à remplir en une journée.
Pour fixer les idées admettons dix écluses d’un pas de 0,8 m.
Le facteur déterminant de la consommation d’eau est la surface d’une écluse qui doit être aussi faible que possible.
Ce qui dimensionne la taille minimum d’une écluse c’est la dimension de la charge la plus encombrante qu’elle doit contenir.
On verra plus loin que la taille minimale d’une écluse pouvait faire autour de 9 x 4 m, soit une surface de 36 M².
Mais avec 20 pierres de parement par jour, la surface de la première écluse ne suffisait pas pour toutes les contenir, il fallait faire monter 2 écluses supplémentaires pour passer le besoin.
Admettons deux écluses supplémentaires pour passer le ravitaillement journalier de la ville,
soit en tout 5 écluses par jour à faire s’alimenter par le bassin de rétention.
La première va consommer 8 m d’eau, la dernière 3,2 m de plus donc au total 11,2 m pour un volume de 36 x 11,2 = 400 M³
Puissance de pompage, débit d’eau .
Il faut 680 M³ par jour, sur 8 m de hauteur, soit une énergie de 680 x 9,82 x 8/3600 = 15 KWH par jour.
Pour une journée de 12 H une puissance de pompage totale de 15 / 12 = 1,3 KW, 130 W par écluse, ce qui est très faible.
Mais il se peut que mes évaluations de la consommation d’eau soient plutôt minimales.
Un ouvrier pouvant développer 80 W de puissance en continu, si le système de pompe avait eu un rendement proche de un, vingt ouvriers travaillant aux pompage auraient suffit à la tâche.
Intérêt des écluses.
Donc un effectif de l’ordre de 20 ouvriers, assignés au pompage suffisait pour alimenter le besoin journalier de la ville en eau, en marchandise et faire s’élever de 8 m de l’ordre de 60 t de pierre.
On mesure ici l’efficacité d’un canal assortit d’un système d’écluses.
Il faut comprendre qu’une écluse ne consomme pas plus d’énergie en élevant une charge de 60 t qu’en élevant un couffin flottant sur l’eau.
Les écluses se remplissent avec l’eau en provenance de la retenue, donc très rapidement, en un temps de l’ordre de quelques minutes, élevaient de 8 m, sans effort, un chargement de 60 t en le faisant glisser sur l’eau d’une distance de 90 m.
Intérêt de la mini barge individuelle:
A la sortie de la carrière, les blocs sont acheminés au bord du Nil ou au bord d’un canal donnant sur le Nil, vers une sorte de mini chantier naval.
Là au sec sur un support de travail, des ouvriers assemblent autour du bloc les flotteurs étanches qui vont le soutenir dans l’eau et les dispositifs de fixation.
Ceci fait, cet assemblage est poussé sur une rampe glissante sur laquelle le bloc est lâché, il va ainsi prendre de la vitesse et plonger dans un bassin de réception dans lequel, en étant naturellement stable, il va flotter en attendant d’être « rassemblé » avec d’autres par l’équipe de Merer.
Et ceci quelque soit le niveau du Nil.
Ainsi nul besoin de matériel de levage et de manœuvres risquée et longues pour être posé sur le pont d’une embarcation naturellement instable.